Par le Dr COSTA J. (Chef de Clinique Assistant), Service de réadaptation cardiaque, Pr. Metz – CHU de Reims

De nos jours, le stress semble omniprésent dans nos sociétés contemporaines : qu’il soit d’ordre professionnel ou personnel, il constitue un centre d’intérêt depuis maintenant une dizaine d’années. Communément admis comme délétère sur la santé humaine, le stress est la cible de stratégies plurielles afin de corriger ses effets délétères : alimentation, activité physique, relaxation, méditation… Toutes ces approches justifient notamment leur intérêt par le fait qu’elles réduiraient le stress. En réalité, le stress constitue une réponse naturelle de l’organisme à toute sollicitation qui lui est faite, aussi bien intérieure qu’extérieure, et indispensable à sa survie. Cependant, lorsqu’il se chronicise, il altère le bien-être et, à terme, peut constituer un facteur de complications psychosomatiques, notamment cardiovasculaires.

 

En effet, sur le plan scientifique, il est maintenant établi que le stress constitue un facteur de risque cardio-vasculaire indépendant : dans l’étude INTERHEART, Rosengreen et al. ont montré en 2004 que les sujets présentant un infarctus du myocarde se caractérisaient par une prévalence plus importante des marqueurs de stress psycho-social, même après ajustement sur les facteurs potentiellement confondants1. Inversement, Nabi et al. ont constaté en 2013 que parmi les sujets déclarant une exposition au stress, ceux qui évaluaient que ce stress impactait « beaucoup ou extrêmement » leur santé quotidienne présentaient un risque doublé d’infarctus (fatal ou non), comparés aux sujets décrivant leur stress comme sans ou avec un effet faible sur leur santé2.

 

Bien qu’encore largement débattus, les mécanismes sous-tendant les effets du stress sur la santé cardio-vasculaire semblent être à la fois indirects et directs : d’une part par les changements de comportements auxquels le stress s’associe, tels que le tabagisme, la sédentarité, le surpoids, la malnutrition (pour certains des facteurs de risque bien connus)3 mais d’autre part par ses effets neuroendocrines. Outre la stimulation sympathique et sa cascade vasoconstrictrice qu’il induit, il semblerait que le lien entre le stress et les maladies cardio-vasculaires passe par un axe neuro-médullaire : chez les patients présentant un stress chronique, il semblerait que le retentissement émotionnel de ce stress, médié notamment par l’amygdale cérébrale, est associé à la production médullaire de leucocytes, à l’origine d’une stimulation de cytokines impliquées dans la réponse inflammatoire, l’un des mécanismes clés de la maladie athéromateuse, pourvoyeuse de coronaropathies4.

 

Sur le plan rythmique, il a également été montré l’impact négatif du stress sur les troubles du rythme et les morts subites. Des études épidémiologiques ont en effet révélé que l’exposition à un stress psychologique important (tel qu’un tremblement de terre ou une guerre) augmentait l’incidence des morts subites5. Plus récemment, des études portants sur des patients porteurs de défibrillateurs implantables ont observé que la survenue d’évènement stressants, qu’ils soient collectifs (tels que des attentats comme ceux du World Trade Center) ou bien individuels, s’associe à une augmentation du risque d’arythmies ventriculaires graves chez cette population à risque. Bien qu’il reste encore insuffisamment compris, il semblerait que le déséquilibre neuro-végétatif induit par le stress favorise d’une part le système sympathique au détriment de la protection vagale, d’autre part perturbe la dépolarisation myocardique, pourvoyeur de trouble du rythme6.

 

Ainsi, la prise en charge du stress constitue un enjeu important de santé publique, notamment en cardiologie. En effet, la prise en charge de ce dernier n’y est pas encore systématique, alors qu’il s’agit d’une population plus à risque, et que les premiers retours des essais s’intéressant à la prise en charge du stress en réadaptation cardiaque sont positifs : non seulement les niveaux de stress ressenti diminuent significativement, contribuant au bien-être du patient et à l’amélioration de leur qualité de vie, mais les évènements cardio-vasculaires également : la mortalité totale, les infarctus, les revascularisations (myocardiques ou périphériques), les accidents vasculaires cérébraux et hospitalisations pour angor instable sont significativement réduits par la prise en charge du stress7.

 

Parmi les différentes approches non pharmacologiques de gestion du stress, la pratique du yoga figure comme une méthode thérapeutique de choix8. Associant exercices de respiration, de relaxation, de renforcement musculaire ainsi que le travail de souplesse et d’équilibre, cette discipline offre une approche complémentaire aux traitements existants, et s’inscrit parfaitement dans la prise en charge globale du patient : d’une part par le maintien d’une activité physique adaptée à chacun, mais aussi par son aide dans la relaxation et la gestion des émotions. Dans ce contexte, la pratique du yoga dans un programme de réadaptation cardiaque s’avère profitable : dans une étude randomisée, Raghuram et al. ont montré en 2014 qu’associer pratique du yoga et réadaptation cardiaque se révélait bénéfique après un pontage aorto-coronarien, tant sur le plan du stress ressenti et de l’anxiété, qu’en terme d’amélioration de la contractilité cardiaque et de baisse des marqueurs d’insuffisance cardiaque9.

 

Le service de réadaptation cardiaque du centre hospitalier universitaire de Reims, qui accueille les patients après un évènement cardio-vasculaire, a récemment enrichi sa prise en charge globale en proposant aux patients la pratique du yoga lors de leur séjour. Les patients admis en réadaptation bénéficient lors de leur admission d’une évaluation de leur qualité de vie globale (questionnaire SF-36 validé en traduction française), explorant quatre dimensions physiques et quatre dimensions d’ordre psychologique. Lorsque le score global est altéré, dans sa dimension physique ou émotionnelle, ou bien en cas de stress chronique, les patients se voient proposer la possibilité de participer à des cours de yoga, collectifs (2 à 3 patients) ou individuels. Deux ans après la mise en place de ces ateliers, c’est au total 497 cours de yoga qui ont été dispensé, principalement individuels (71%), à une population de patients cardiaques relativement jeune (60 ans d’âge en moyenne). Leurs retours sont encourageants : globalement, tous témoignent de l’effet positif de la respiration dans la gestion de leur stress au quotidien. Une patiente porteuse d’une hypertension artérielle pulmonaire déclare « Alors que j’étais assez réfractaire à ce type d’approche, la pratique du yoga en réadaptation m’a permis de découvrir des techniques de respiration, que j’utilise ponctuellement lorsque je fais face à un évènement stressant ou que je suis essoufflée. Il m’est d’ailleurs arrivé de proposer cette approche aux autres patients membres de l’association d’hypertension pulmonaire dont je fais partie ». Plusieurs mois après son hospitalisation en réadaptation cardiaque, une autre patiente rapporte continuer régulièrement les exercices qui lui ont été conseillés, qu’il s’agisse des exercices physiques ou plus spécifiquement du travail sur la respiration « la pratique du yoga m’a appris à mieux respirer et m’aide à me détendre. Je le conseille aux patients effectuant un cycle de réadaptation cardiaque ». Une fois le cycle terminé, le monde associatif constitue un relais essentiel pour pérenniser ce type d’approche, car comme le souligne un autre patient, « il est plus difficile de se motiver seul ».

 

Ainsi, la prise en charge des patients présentant un évènement cardiaque se doit maintenant d’être centrée sur le patient. En effet, l’apport des progrès thérapeutiques dans les domaines de la cardiologie interventionnelle et pharmacologique a joué un rôle majeur dans la rapide et importante réduction de la morbi-mortalité cardiovasculaire et globale ces cinquante dernières années dans les pays développés. Cependant, la dernière décennie a été marquée par un ralentissement de la vitesse de réduction de cette morbi-mortalité à laquelle médecins et pouvoirs publics s’étaient habitués, et c’est désormais dans le domaine de la prévention, tant primaire (avant la survenue d’un évènement cardiovasculaire) que secondaire, qu’une marge de progrès semble se situer10. Contrôle des facteurs de risque cardiovasculaire, activité physique, réduction du stress chronique, éducation thérapeutique : par sa double approche psycho-comportementale et somatique, la pratique du yoga est un atout complémentaire intéressant dans la prise en charge globale du patient. Les services de réadaptation cardiovasculaires sont un lieu idéal pour faire découvrir sa pratique, et le développement de ce type d’approche constitue un enjeu essentiel dans la prise en charge globale des patients.

 

1 Rosengren et al., Association of psychosocial risk factors with risk of acute myocardial infarction in 11 119 cases and 13 648 controls from 52 countries (the INTERHEART study): case-control study, The Lancet, 2004
2 H. Nabi et al., Increased risk of coronary heart disease among individuals reporting adverse impact of stress on their health: the Whitehall II prospective cohort study, European Heart Journal (2013)
3 T. Chandola et al, Work stress and coronary heart disease, European Heart Journal (2008)
4 Tawakol et al., Relation between resting amygdalar activity and cardiovascular events : a longitudinal and cohort study, The Lancet 2017
5 Lampert, Anger and ventricular arrhythmias, Current Opinion in Cardiology 2010
6 Lampert et al., Psychological Stress and Repolarization, J Cardiovasc Electrophysiol, 2005
7 Blumenthal et al., Enhancing Cardiac Rehabilitation With Stress Management Training: A Randomized Clinical Efficacy Trial, Circulation 2016
8 Brita Roy et al., Emotion regulation moderates the association between chronic stress and cardiovascular disease risk in humans: a cross-sectional study, Stress 2018
9 Raghuram et al, Yoga based cardiac rehabilitation after coronary artery bypass surgery: One-year results on LVEF, lipid profile and psychological states : A randomized controlled study, Indian heart journal, 2014
10 Sandeep J., Why Your Cardiologist Should Ask About Your Love Life, New York Times, 2018


Yogathérapie en rééducation cardiaque au CHU de Reims


Au CHU de Reims, le service de réadaptation cardiovasculaire reçoit des patients ayant présenté un infarctus du myocarde, ou des patients insuffisants cardiaques ou ayant subi une chirurgie cardiaque (remplacement de valve par exemple). Pour la plupart d’entre eux, un cycle de réadaptation comprend 20 séances d’une demi-journée. Les patients ne sont pas hospitalisés.

 

Cette rééducation est globale ; elle a pour but de réadapter le patient à sa vie précédant son problème cardiaque ; elle comprend des séances de renforcement musculaire, de réentrainement progressif à l’effort sur vélo et/ou tapis de marche, avec si besoin, des protocoles adaptés. S’y associent également des ateliers de transmission de connaissances concernant la maladie, ses traitements, certaines mesures diététiques, une aide au sevrage tabagique, la gestion du stress.

 

Depuis deux ans cette unité de réadaptation propose également des séances de yoga en atelier collectif (maximum 4 personnes) ou en atelier individuel, que j’ai la chance d’animer étant praticien hospitalier au CHU de Reims et professeur de yoga.

 

La première fois, les patients participent à un atelier collectif. Ils découvrent le yoga postural et respiratoire sur une séance d’une heure. Puis s’ils le désirent, ils peuvent demander à participer à des ateliers individuels afin d’avoir une séance adaptée à leur besoins, envies, possibilités, selon l’approche Viniyoga et dans le respect des principes de la yogathérapie.

 

Certains patients bénéficient d’emblée d’ateliers individuels.
Lors du premier atelier, qu’il soit collectif ou individuel, comme le yoga est totalement inconnu pour une grande majorité d’entre eux, je consacre un petit temps à l’information. Cette information porte sur ce qu’est le yoga, ses bienfaits et ses limites et j’insiste toujours sur l’importance de l’approche Viniyoga, en leur disant que c’est moi qui vais adapter la pratique à leurs besoins et à leurs possibilités et non pas l’inverse. Je les informe également sur le fait que l’efficacité du yoga réside dans la répétition de la pratique et qu’il est fortement recommandé qu’ils refassent les exercices chez eux afin d’en ressentir les effets bénéfiques. J’insiste beaucoup sur le fait que ce doit être une démarche volontaire de leur part. Environ la moitié des patients qui commencent en atelier collectif demandent à revenir en atelier individuel.

 

Les ateliers individuels se déroulent selon les principes d’une consultation de yogathérapie, avec un entretien d’une dizaine de minutes portant sur leurs pathologies, leurs modes de vie, leur sommeil, leurs attentes… Bien entendu, comme à la fin d’un cours individuel, les patients repartent avec une séance dessinée à faire chez eux. Je m’enquiers toujours du temps qu’ils pourront y consacrer, et à quel moment de la journée ils pourront faire leur séance de yoga. Je leur recommande de pratiquer tous les jours si possible, ou plusieurs fois par semaine, ou de temps en temps en fonction de leurs possibilités, en insistant sur le fait que plus ils pratiqueront, plus les effets se feront sentir. Puis, pour la plupart d’entre eux, je les revois deux ou trois fois sur leur cycle de rééducation. A chaque nouveau rendez-vous, nous faisons le point sur leur pratique. Je reconnais que beaucoup d’entre eux me disent ne pas avoir pratiqué tous les jours (ce qui est bien normal !) mais certains d’entre eux ont répété les séances à la maison et nous voyons ensemble ce qui doit être adapté et comment progresser.
Depuis que l’atelier yoga existe dans cette structure de rééducation, sur 280 patients, plus de 160 patients ont bénéficié de cours individuels. La majorité d’entre eux n’a pu bénéficier que d’une seule séance, la plupart du temps par manque de temps ou de créneau libre, mais beaucoup ont eu deux, trois, quatre… voire huit séances individuelles. Plusieurs souhaitent continuer le yoga après la fin de leur cycle de rééducation.

 

Pour la majorité, la demande est d’apprendre à faire diminuer le stress, à retrouver le sommeil, et beaucoup souhaitent également améliorer leurs capacités respiratoires, diminuer leur essoufflement, voire diminuer leurs douleurs.

 

En respectant la personne de manière holistique, la pratique du yoga enseignée selon les principes de Viniyoga, est tout à fait adaptée à ce type de demande et pourrait être élargie à d’autres secteurs que la rééducation cardiaque.

Marianne Lorenzato