Pourquoi pratiquer le Chant Védique ? Quel lien y a-t-il avec le Yoga ? Quelle est l’utilité d’un Mantra ? Ce sont des questions que j’entends souvent.Aussi vais-je tenter d’y apporter ici quelques éléments de réponse.Derrière ces questions se cache souvent le fait que, pour de nombreuses personnes, le chant représente avant tout une difficulté (y compris le simple chant d’un mantra dans la pratique de yoga). C’était vrai pour moi aussi à une époque, émettre un son était tellement difficile.

Il est d’autant plus important quand on est dans ce cas, de savoir ce que le chant pourra apporter, un jour …

L’effet du chant le plus simple sans doute à expérimenter est sa faculté de calmer l’esprit et de l’amener dans un état de grande concentration.

Déjà le simple chant d’un mantra dans la pratique (āsana, prāṇāyāma) permet de la vivre avec une conscience accrue, dans un état d’entière présence, le but même du yoga . Chanter le mantra, de façon sonore ou mentale, permet de parfaitement réaliser ce principe de base « le souffle porte le geste » et ainsi inter-connecter corps, souffle et esprit. La posture place le corps dans un état à la fois ferme et détendu.

Et le mantra agit de même sur l’esprit, il est comme une posture pour l’esprit, l’immobilisant et le pacifiant. Par le chant du mantra la pratique s’ouvre à une autre dimension.
(II.46 sthirasukhamāsanam
II.47 prayatnaśaithilya anantasamāpattibhyām)

Quant au Chant Védique, il demande d’écouter attentivement le professeur pour être capable ensuite de chanter à son tour exactement ce que celui-ci a chanté.
L’attention doit être entière.

Un esprit agité ne peut pas écouter avec suffisamment d’attention pour répéter précisément, même avec le support d’un texte écrit.
Il faut imaginer ce que cela représentait à l’origine, des siècles en arrière, quand la transmission se faisait oralement, sans le moindre texte.
Un tel niveau d’attention et de mémorisation …

Le chant est le moyen de développer l’écoute.
Ecouter vraiment demande de se déconnecter de ses mémoires et de ses automatismes mentaux pour être pleinement dans l’instant présent.
Il faut, pour être dans cette écoute totale, faire le silence en soi.
En d’autres termes, pour que le son puisse vraiment entrer en nous, il faut que l’espace mental soit disponible.

Dès qu’autre chose occupe l’esprit nous ne pouvons plus écouter vraiment.
Par exemple, si c’est notre volonté de chanter qui en fait occupe l’esprit, si nous écoutons à peine, déjà en train de chanter en parallèle, l’imprégnation ne peut se faire.
L’écoute est du domaine du lâcher-prise.

Un autre exemple est le cas où l’esprit se retrouve occupé par la mémoire d’une ligne de chant connue qui s’apparente à celle qui est à ce moment-là en cours d’apprentissage.
Au lieu d’écouter ce qui est nouveau, nous cherchons à le connecter à du connu. Nous ne sommes plus dans l’instant présent.

Nous sommes en train de bâtir un nouvel automatisme ou de renforcer un automatisme existant.
Le chant est une excellente manière de voir se manifester les automatismes mentaux (saṁskāra), de réaliser leur force et la facilité avec laquelle ils se créent, de prendre conscience du mode de fonctionnement de l’esprit.

Peu à peu se développe une plus grande subtilité dans l’écoute, il devient possible d’entendre ce que l’on n’entendait pas et le rapport au monde, la communication s’en trouvent changés.
Les Yoga Sūtra appellent « audition divine » cette subtilité nouvelle.

(III.41 śrotrākāśayoḥ saṁbandhasaṁyamāt divyaṁ śrotram)
Nous devenons sensibles aux sons, tous les sons, que ce soit la musique, les mots d’une

langue étrangère etc.
(Par exemple j’ai beaucoup progressé en anglais ces dernières années, mes oreilles entendent mieux et il m’arrive de comprendre tout à coup des paroles de chansons que j’ai écouté de nombreuses fois au fil des ans).
On ne peut reproduire que ce que l’on entend. La justesse du chant passe par la subtilité de l’écoute.

Du jour où l’oreille a suffisamment évolué pour entendre la différence entre la note juste et la fausse note, alors il devient possible de chanter la note juste.
Cela peut paraître évident à tous ceux qui ont la chance d’avoir « de l’oreille ».
Mais pour tous les autres, croyez bien que le chemin du chant passe par l’écoute.

Le chant a bien sûr également un effet sur la voix.
Il agit sur l’énergie d’élévation située au niveau de la gorge (udāna), donnant une voix plus claire, une plus grande aisance dans l’expression.
La voix évolue, elle porte davantage et ce n’est pas seulement une question de volume sonore, mais de clarté.

La prononciation du sanskrit joue un rôle en cela.
Le sanskrit distingue une cinquantaine de phonèmes, c’est à dire bien plus que la plupart des autres langues. Le sanskrit est d’une grande richesse phonétique.

Cela implique d’apprendre à prononcer correctement toutes les lettres de son alphabet. La différence de son est parfois subtile entre certaines lettres mais le sens d’un mot peut être totalement transformé.
L’extrême importance de la prononciation se manifeste dans la structure de l’alphabet. Après la liste des voyelles et diphtongues, vient la liste des consonnes, organisée en fonction de leur point d’articulation dans l’appareil phonatoire, c’est à dire le lieu où elles sont produites : la gorge, le palais … jusqu’aux lèvres.

Cela veut dire que l’on apprend à utiliser totalement et précisément l’appareil phonatoire pour produire un son juste et cela confère une grande clarté.
Le chant en sanskrit donne une impression d’espace au niveau de la gorge et de la bouche.

La sensation d’espace est aussi reliée à un autre effet du chant : il améliore la capacité respiratoire.
Peu à peu il devient possible de chanter sans manquer de souffle des lignes de plus en plus en longues.

Cela se manifeste bien sûr au niveau du prāṇāyāma, en particulier quand il est rythmé par la récitation mentale de mantra, la longueur du souffle est sensiblement accrue par la pratique du chant.

Au niveau mémoire, le chant développe bien sûr la mémoire auditive.
C’est une forme de mémoire peu utilisée de nos jours et il est extraordinaire de se rendre compte au fur et à mesure de tous les chants que l’esprit peut mémoriser.
Avoir en soi les chants et pouvoir les chanter par cœur est une expérience très différente.

C’est aller plus profondément dans l’univers sonore, à partir du moment où la vue n’intervient plus pour lire le texte.
C’est créer un lien direct entre la voix et l’oreille et entrer ainsi dans un état méditatif, ce qui n’est pas possible aussi longtemps que demeure le besoin de lire le texte.

L’esprit ne peut pas sans cesse passer d’un mode de fonctionnement à l’autre, visuel/sonore, et conserver la même présence à l’un des deux, la transition entre les deux modes induisant une dispersion.

C’est être capable de chanter, en particulier mentalement, en toute circonstance où se manifeste le besoin de calmer l’esprit, le besoin de se recentrer.

Le chant mène au silence intérieur. C’est en cela une préparation à la méditation, l’esprit atteint par le chant un état de paix mentale qui rend possible la méditation.
Mais c’est aussi une forme de méditation en soi.
Il est dit dans les Yoga Sūtra que la répétition d’un mantra (mantra japa) amène à la découverte de soi.

(I.28 tajjapaḥ tadarthabhāvanam
I.29 tataḥ pratyakcetanādhigamaḥ api antarāyābhāvaśca)

De mon expérience, avancer jour après jour sur le chemin du chant apprend véritablement ce que veut dire « persévérance et détachement » (abhyāsavairāgyābhyāṁ) et combien cela repose sur śraddhā : avoir confiance, y croire.
La confiance est essentielle pour continuer à avancer quels que soient les obstacles dans la vie, elle est la clé de voûte de toute entreprise.

Une chose merveilleuse se passe quand on chante régulièrement : avancer devient plus facile car le chant a le pouvoir de nourrir śraddhā au plus profond du cœur.
C’est là véritablement la merveille que le chant a dévoilé pour moi.
La magie du chant est que la voix ouvre toujours la voie vers ce lieu heureux où śraddhā repose.

La tradition indienne dit que le monde est fait de sons, nous-mêmes sommes faits de sons, son (śabda) voulant dire vibration.
Cela explique pourquoi le chant a le pouvoir un peu mystérieux de pénétrer très profondément en nous et d’induire des changements, que ce soit au niveau physique, mental ou spirituel.

En sanskrit le chant védique s’appelle adhyayanam : cela veut dire aller au plus profond de soi.
Le rôle du sanskrit en cela est primordial et la prononciation est la première des règles du chant védique : si correctement prononcé, chaque son sanskrit a un pouvoir vibratoire particulier donc un effet unique et l’ensemble des sons du sanskrit agit sur l’ensemble des points énergétiques du corps.

Au Krishnamacharya Yoga Mandiram, un cours de chant débute par un chant à Krishnamacharya et tous les maîtres qui ont précédé. Puis se termine par un chant demandant pardon pour les fautes commises lors du chant et offrant tout ce que l’on a reçu à Nārāyaṇa.

C’est une belle manière de vivre l’abandon des fruits de l’action (īśvarapraṇidhāna) des Yoga Sūtra.

Et de remercier pour la joie que donne le chant.

oṁ śāntiḥśśāntiśśānti

 

Nicole Bosch

 

Prières à Patañjali

Ces prières sont chantées en hommage à Patañjali avant toute étude des Yoga Sūtra.
Elles sont au nombre de trois, l’une étant attribuée au sage Vyāsa, l’autre au roi Bhoja et la dernière d’auteur inconnu.

Patañjali serait le sage à l’origine des Yoga Sūtra, le texte de référence dans lequel est exposé le Yoga, un des six darśana (point de vue, système) de la tradition indienne, issus des Védas.
Les Yoga Sūtra ont par la suite été l’objet de commentaires, notamment par Vyāsa puis par Bhoja.
Patañjali aurait aussi rédigé un traité de grammaire sanskrite et un traité de médecine. Ainsi ses enseignements sont-ils complémentaires pour le bien des êtres humains, permettant d’améliorer la santé du corps, la qualité de la parole et la clarté de l’esprit.

On considère de nos jours que plusieurs auteurs différents ont en fait écrit ces différents traités, échelonnés sur plusieurs siècles.
Pour ce qui est du Yoga, Patañjali (ou plus vraisemblablement son école) est celui qui a rassemblé et mis en forme les pratiques yogiques d’une tradition ancienne, les érigeant en système.

Il est dit aussi de Patañjali qu’il s’agirait de l’incarnation du serpent mythique Ananta ou Śeṣa, serpent sur lequel est allongé le dieu Nārāyaṇa, envoyé sur terre pour enseigner.
C’est pourquoi il est représenté pour la partie supérieure du corps comme un être humain et pour la partie inférieure du corps comme un serpent.

  • Prières à Patañjali – Vyasa
  • Prières à Patañjali – Bhoja

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