11 mai : déconfinement. Elargissez votre respiration extérieure et surtout votre respiration intérieure sous la guidance de Bernard Bouanchaud.

 

La pandémie nous a tous contraints à vivre dans un espace restreint, mais libre à nous d’élargir notre espace intérieur. Pour y parvenir, l’outil le plus performant est le prânâyâma. Cependant la puissance même de cet outil requiert une grande prudence et une nécessaire progressivité.

 

Il convient de commencer par quelques gestes très simples : des mouvements de bras par les côtés afin de réveiller la ventilation, des flexions avant afin d’allonger progressivement l’expiration, une table à deux pieds afin de préparer la tonicité dorsale, et le placement du jâlandhara bandha. Autres points essentiels : les phases de repos et l’observation de la respiration en ujjâyî. Par l’écoute du son produit par la respiration glottique, par la recherche de sa subtilité, nous  entrons dans le degré le plus subtil de la matière et nous nous approchons des espaces où les mots n’ont plus de sens.

Grâce à l’œuvre du travail conscient, tout prânâyâma correctement conduit doit entraîner le pratiquant à traverser des zones de « faire » pour déboucher vers de larges espaces de « laisser faire », de lâcher prise, d’offrande de soi à prâna.

Le texte des Yoga-sûtra, texte de référence du Yoga, décrit de façon très précise les conditions d’entrée dans le prânâyâma, la façon d’y progresser et les résultats potentiels. Le sûtra décrivant le prânâyâma, le 49ème du deuxième chapitre, commence par les mots Tasmin Sati : « Ceci atteint… », qui renvoient à ce qui est décrit dans les trois sûtra-s précédents. Les sûtra-s 46, 47 et 48 décrivent la posture ; quant au milieu du chapitre, il donne une grille d’observation et de réflexion sur nos comportements envers autrui et envers nous-même.

Rassurez-vous, nous pouvons commencer à respirer avec grand bienfait et plaisir avant d’être un parfait pratiquant des postures ou un observateur intègre des yama-s et des niyama-s. Mais pour vraiment commencer les exercices de contrôle du souffle, il vaut mieux être relativement à l’aise dans son corps et dans sa tête, ne pas en vouloir à la terre entière et encore moins à quelqu’un précisément.

La pratique fréquente des postures est censée nous apporter la pacification du corps et de l’esprit, c’est pourquoi la description de la posture et de ses résultats se trouvent juste avant le 49.Les sûtra-s 46, 47 et 48 du deuxième chapitre nous assurent qu’en pratiquant assidûment la posture physique de manière juste, en suivant ce fil d’Ariane qui se place entre le faire et le laisser faire, en réalisant le « simple juste faire », l’Espace s’élargira en nous. Dans la souffrance, nous manquons d’espace. Cette dimension est juste l’inverse, parce qu’elle s’élargit, elle nous donne une impression de libération. La posture nous offre ce résultat. Il conviendra de veiller à ce que le prânâyâma s’y diffuse. Dans un premier temps, il n’est pas rare que le nouveau travail demandant à nouveau trop de faire ne resserre les limites de l’espace intérieur. Signe immédiat : le cœur s’affole et bat plus vite. Un des moyens de savoir s’il n’y a pas eu trop de volonté est de prendre son pouls avant et après le prânâyâma.

  • S’il a augmenté, c’est qu’il y a eu forçage.
  • S’il est resté constant, il convient maintenant d’acquérir la subtilité dans la fluidité des flux et le son du souffle.
  • S’il a diminué, nous sommes dans le juste car c’est ce qui doit normalement se passer.

 

L’assise.

 

La posture (Yoga-sûtra – II. 46, 47 ,48) a préparé le corps à pouvoir tenir un temps suffisant en immobilité afin de permettre l’expérience du prânâyâma. C’est ce que nous appellerons l’assise. Que comprend-elle ? Une base, une verticalité, une clé de voûte.

 

La base : c’est le contact des ischions sur un plan horizontal. L’adaptation au niveau des membres inférieurs se fait à partir de ce critère selon la souplesse et les possibilités de chacun. L’éventail des possibilités est large. Depuis la position assise sur une chaise ou un petit banc à la position du lotus padmâsana. Les assises les plus stables sont bien évidemment celles où les membres inférieurs sont noués plus ou moins fermement. Elles demandent donc une préparation minutieuse des hanches.  Janushîrshâsana qui prépare à long et à court terme l’abduction et la rotation externe de la hanche est l’une des postures les plus efficaces.

 

La verticalité : trois points alignés sur l’axe vertical en seront les garants : la fourchette sternale, le nombril et le pubis. Selon la morphologie, l’attitude quotidienne, la position pour dormir, s’asseoir… le réalignement de ces trois points peut s’avérer nécessaire.

 

Le jâlandhara bandha

Il manque simplement le point de fixation de ce bel appareil de stabilisation, nous appellerons cette clé de voûte… le jâlandhara bandha. Ce placement de la tête est obtenu par une légère rotation autour de l’axe des oreilles. Le menton se rapproche alors légèrement de la gorge entraînant la chaîne vertébrale vers le haut et le redressement. Le sternum aura tendance à monter à la rencontre du menton. Surtout laissez faire ! (Vérifiez dans une glace ou faites-vous vérifier par un professeur). Votre visage est incliné légèrement vers le bas. Que ressentez-vous physiquement, psychiquement ? Maintenez cette attitude tout le temps de votre prânâyâma.

Rappelons les 5 points essentiels avant le début du prânâyâma :

A         un socle ferme consciencieusement établi,

B         un dos vertical, relativement tonique,

C         le Jâlandhara Bandha. (JB),

D         le souffle conscient et fluide, naturel,

E         la conscience intériorisée.

 

La pratique suivante vous aidera à obtenir B, C, D.

 

Rappel :

– débutez toujours l’inspiration ou l’expiration avant le geste

– votre geste dure moins que votre respiration

– marquez une légère pause (2 à 3 secondes) entre l’inspiration et l’expiration.

 

  1. Enchaînement avec vajrâsana et cakravâkâsana pour préparer la colonne vertébrale, l’ensemble du corps et la respiration.

 

A genoux, assis sur les talons vajrâsana

– expirez, placez jâlandhara bandha

– inspirez, levez les bras par les côtés jusqu’à la verticale en vous dressant sur les genoux

– expirez, fléchissez les hanches, asseyez-vous sur les talons, bras étirés vers l’avant, posez vos mains au sol loin devant, front au sol si possible

– inspirez, creusez le haut du dos en prenant la position à quatre pattes.

Revenez dans l’ordre inverse.

Répétez 3 fois cet enchaînement en équilibrant la longueur de l’inspiration et celle de l’expiration avec une pause de 2 secondes au moins entre chaque phase ventilatoire.

 

Ce simple enchaînement peut faire émerger des manifestations de refoulement vers le haut, telles que : éructation, bâillement, hoquet, soupir, raideurs articulaires… Prenez ces signes au sérieux. Ne forcez jamais le souffle, ni dans la posture, ni dans le prânâyâma. Sachez apprivoiser le corps que vous habitez !

Si vous ne forcez pas votre souffle, il va se fluidifier et s’allonger. Patience et longueur de temps font plus que force et volontarisme.

 

  1. Enchaînement avec samasthiti et uttânâsana pour préparer l‘intériorité et l’expiration

 

En position verticale, samasthiti, la posture d’attention, prenez conscience de votre respiration

– expirez, placez jâlandhara bandha

– inspirez, levez les bras par l‘avant jusqu’à la verticale

– expirez, fléchissez le tronc vers l’avant à partir des hanches

– inspirez, redressez le buste en direction de l’horizontale (les genoux légèrement fléchis afin de sentir un redressement et une tonicité du dos homogènes)

Le retour vers la position de départ se fait dans l’ordre l’inverse.

 

Veillez toujours à privilégier la conscience de la respiration et la conscience de de votre corps lors des suspensions de souffle. La phase ventilatoire consciemment vécue vous permet de changer en douceur la position du corps. Il est important pour la suite de ressentir la conscience des zones profondes du corps amplifiée par la pause du souffle. Autrement vous faites seulement de la gymnastique.

 

  1. Suivant les besoins ressentis, vous pouvez maintenant préparer les hanches pour la posture d’assise. Par exemple janushîrshâsana.

Vos yeux sont fermés comme pour toutes les postures, excepté les postures debout.

 

La position assise de départ doit être placée avec soin.

Les jambes sont allongées réunies devant, le buste est droit et vertical, cela sans effort. Si ce n’est pas le cas, asseyez-vous sur un petit socle (une “brique”)

– avec un geste naturel et sans déplacer le bassin, repliez le genou gauche et placez le pied gauche le plus haut possible contre la face interne de la cuisse droite en ouvrant la hanche en abduction, le genou gauche sera sur le sol si la rotation de la hanche est suffisante. Ne déplacez pas le bassin

– orientez alors votre buste vers le membre droit allongé devant, placez vos mains l’une sur l’autre sur la cuisse droite, la main droite dessous. Le buste est redressé

– expirez, placez jâlandhara bandha

– inspirez, levez les bras par l‘avant jusqu’à la verticale

– expirez, inclinez le tronc vers l’avant à partir des hanches en gardant le dos le plus droit possible et sans forcer, posez vos mains sur la jambe droite

– inspirez, redressez votre dos depuis les omoplates jusqu’aux hanches en conservant le jâlandhara bandha et vos mains à la place où vous les avez posées grandissez la chaîne vertébrale, de cet allongement dépend la progression de votre posture.

Cette position intermédiaire appelée sthiti sollicite la musculature paravertébrale profonde.

– expirez, augmentez la flexion des hanches et l’inclinaison du tronc vers la jambe.

– restez 3 respirations statiques.

Revenez dans l’ordre inverse en respectant bien le sthiti également au retour.

Répétez de l’autre côté.

 

Une dernière “contre-posture” dite pratikriyâ qui signifie, “action de retour à la neutralité” peut se révéler utile.

 

Pour les débutants, assis sur les talons vajrâsana

– inspirez, levez les bras par les côtés jusqu’en haut

– expirez, fléchissez les hanches et venez si possible poser le front au sol en reposant les bras sur le sol vers l’arrière le long des cuisses

Revenez dans l’ordre inverse.

Répétez 3 fois.

Allongez-vous sur le dos en posture du cadavre shavâsana pour quelques respirations naturelles de repos.

 

Pour les pratiquants confirmés, un temps d’assise de 3 minutes peut suffire.

 

Installons-nous en posture d’assise.

Un léger temps d’observation, c’est-à-dire quelques respirations libres et conscientes est bienvenu.

Sommes-nous prêts ?

– le corps est-il conscient, droit, détendu ?

– la fréquence cardiaque est-elle calme ?

– la respiration est-elle naturelle, consciente, paisible ?

– la conscience, c’est-à-dire l’attention est-elle bien là et détendue, paisible ?

Si vous avez respecté la qualité de l’attention dans toute l’expérience, vous êtes maintenant prêts pour le prânâyâma.

 

Nous allons aborder la première respiration nécessitant l’aide d’un « pince-nez ». Ce geste symbolique mudrâ s’appelle mrgî-mudrâ la mudrâ de l’antilope femelle, de la biche. Celle-ci est réalisée à l’aide des doigts de la main droite mais pas n’importe lesquels. Chacun des cinq doigts symbolise l’un des cinq souffles ou prâna.

– le pouce correspond à prâna, le souffle vital proprement dit, offert par le créateur

– l’index à apâna, ce que nous rendons à la nature, à la source car impur pour nous (échange oxygène, gaz carbonique avec le règne végétal, par exemple)

– le majeur à vyâna, ce qui nous maintient dans le cycle de la réincarnation

– l’annulaire à udâna, notre aspiration à nous élever vers le créateur

– l’auriculaire à samâna, notre nécessité de maintenir l’équilibre entre ces souffles.

L’index et le majeur ne touchent pas le nez mais sont repliés dans la main droite. Ils ne doivent pas toucher le visage. Ces deux souffles sont indésirables : apâna, ce qui attend d’être éliminé dans le bas du tronc et vyâna, l’exécuteur de notre “condamnation” à renaître si nous n’avons pas atteint la libération spirituelle avant de quitter notre corps, symbolisent des énergies impures.

Le pouce, l’annulaire et l’auriculaire sont seuls utilisés.

 

Apprenez à placer vos doigts sur votre nez maintenant. Avec le poignet légèrement fléchi, placez cette pince juste au-dessus des ailes du nez. Il suffit d’une très légère pression d’un doigt à cet emplacement pour arrêter ou freiner le flux de l’air dans la narine.

 

anuloma ujjâyî

 

Première technique pour tous et sans contre-indication majeure.

Comme son nom l’indique, ce prânâyâma comporte pour inspirer l’ujjâyî, un très léger son dans la gorge dont nous sommes coutumiers car il est pratiqué dans toutes les postures âsana.

pûraka, l’inspiration, est faite ainsi.

recaka, l’expiration, est anuloma c’est-à-dire, dans le sens, avec, anu, du courant loma. Le flux de l’air est légèrement ralenti, freiné à l’aide de la pince décrite auparavant. Le premier recaka expiration se fera par la narine gauche, le deuxième par la narine droite. Ces deux respirations constituent un cycle anuloma ujjâyî. La pratique comporte au moins 6 cycles.

 

Un cycle de deux respirations comporte :

pûraka                      antah kumbhaka    recaka                       bâhya kumbhaka

ujjâyî 2 narines       pause                                   narine gauche        pause

ujjâyî 2 narines       pause                                   narine droite           pause

 

Le cœur ne doit pas s’accélérer. Si nous avons l’impression d’étouffer, il est préférable de pratiquer seulement 3 cycles au début, précédés et suivis de 6 respirations en ujjâyî. Ceci afin de s’habituer progressivement à cette technique.

 

L’un des principaux défauts du débutant est de perdre peu à peu le placement vertical de la tête et l‘horizontalité des épaules. Afin de pallier cet inconvénient, descendez durant le pûraka votre main droite sur votre genou, et replacez-la au moment de recaka. Vous avez tout votre temps durant les pauses entre les phases ventilatoires.

 

Comptez vos respirations par cycle en déplaçant votre pouce gauche sur les 12 phalanges des quatre autres doigts de la main gauche ; en commençant  par la base de l’index, puis le milieu et la pointe ; puis la pointe des 3 autres doigts pour revenir vers la base du petit doigt, le milieu, la base de l’annulaire, du majeur et terminez par les deux phalanges intermédiaires du centre, le majeur et l’annulaire. Nous dessinons ainsi un colimaçon vers le centre. Ceci nous rappelle premièrement que le prânâyâma doit nous conduire vers l’intériorité, vers le cœur. Deuxièmement le sens de rotation, qui est aussi celui des aiguilles sur une horloge, correspond à l’un des gestes essentiels du rituel hindou dans un temple. En tournant en procession autour de la divinité qui est au centre, en ne lui montrant que son côté droit dakshina qui est pur, le dévot honore sa divinité. Lui montrer le côté gauche vamâna serait une injure.

 

Il s’agit, au début, de s’habituer à cette technique en équilibrant pûraka,l’inspiration, et recaka, l’expiration, sans forcer. Dans certains cas, par exemple une surcharge pondérale, il est préférable d’allonger, voire de doubler la durée de l’expiration par rapport à l’inspiration. Les pauses doivent se placer par elles-mêmes, être naturelles.

 

Patience, vous apprenez le pilotage d’un planeur. Tout est possible avec de la patience et le respect des principes. Et surtout rien ne remplace les conseils et la supervision d’un professeur expérimenté. En vérifiant le terrain et les besoins de l’élève, il saura donner de précieux conseils. Se lancer dans l’apprentissage du pilotage en solitaire serait une pure folie. Expérimenter le prânâyâma avec un guide se révèle être le début d’une aventure aussi extrême que merveilleuse.

 

Une aventure si particulière et unique qu’au retour, par discrétion, l’aventurier se tait. Plus on en sait, moins on en dit.